PEUT-ON RIRE DU HANDICAP ?
Article paru dans le magazine Faire Face (10/1999)




Peut-on rire des personnes handicapées ? Cette question a fait l'objet d'un débat sur internet, au sein du forum de discussion fr.misc.handicap. Quelques uns des participants, handicapés ou non, précisent ici leur point de vue. Une réflexion qui n'attend plus que votre opinion à vous, lecteurs, pour être relayée par Faire Face.

"C'est l'histoire d'un paraplégique qui va à Lourdes. Il se précipite dans le bassin d'eau sacrée en priant Dieu de lui rendre ses jambes... et en ressort tout mouillé avec deux pneus neufs à son fauteuil". Cette plaisanterie, vous la connaissez, mais vous a-t-elle fait rire ? D'une manière générale, peut-on rire des personnes handicapées ? "Venant des valides, je trouverais assez malsain de le faire, estime Daniel-François Carrodano. Venant d'un handicapé cela ne me heurte pas". Christian Druel revendique, quant à lui, ce droit à l'humour : "Il ne faut pas rire des handicapés, mais avec des handicapés. J'ai souvent constaté l'amertume de certains handicapés qui ne s'acceptent pas comme tels". "Le problème, précise Renan Injey, est de trouver le juste équilibre des choses : si un individu me fait une réflexion humoristique parce que je suis myopathe, je souris et rigole, mais à la quatrième ou cinquième fois je commence a être un peu agacé, au bout de la dixième je me fâche, expliquant que d'accord on a bien rigolé mais que je n'ai pas demandé à être comme je suis et que ses blagues me blessent".

Marie-Laurence, elle, pense "qu'il faut rire de ces blagues comme l'on rit de celles concernant les juifs, les arabes, enfin toutes les blagues concernant les différences qu'elles soient d'ordre physique, moral, intellectuel ou religieux. Au-delà du rire, il y a nos larmes de douleur ou de détresse que par pudeur certains ne peuvent traduire que par la dérision. Si je suis là pour les lire c'est que je vis".

Analyse d'Elisabeth Pawlowsky : "Il y a l'humour juif, belge (ne pas confondre avec nos histoires belges), chrétien, celui des bouchers, des avocats, etc. Ces blagues sont généralement inventées puis racontées par et dans le groupe, puis elles prennent leur envol et sont parfois reprises par des gens hostiles. Ce qui était une forme d'autocritique devient arme de dérision quand des esprits mal intentionnés s'en saisissent".

Ce que Philippe Adang exprime par un : "On ne peut décemment pas raconter des blagues de macchabées pendant un enterrement ! Pour le handicap, c'est pareil, si certains éprouvent le besoin de dédramatiser leur handicap en racontant des blagues, ils sont libres, il faudrait seulement qu'ils pensent qu'ils risquent de choquer les plus sensibles, les handicapés récents, les parents d'enfants handicapés". Certes, mais "un groupe qui refuse l'humour, même si celui-ci lui met ses propres faiblesses sous le nez, est un groupe sclérosé, malade, dont les membres ne s'assument pas", fait remarquer Elisabeth Pawlowsky.

L'humour peut aussi faire office de défense. C'est ce qu'exprime Annick Petit en évoquant des blagues, parfois cruelles, diffusées sur le forum par Christian Druel et qui ont valu à ce dernier des bordées d'insultes de la part d'autres internautes : "Il essaye d'exprimer au travers de mots écrits par d'autres ce qu'il n'arrive plus à taper lui même. Le pire est que je pense que même si les injures en tout genre dont il est abreuvé l'enfoncent dans sa solitude, il préfère cela au néant qui l'enferme inexorablement. Mais peut être que c'est la seule chose qui parvient à le maintenir à la surface..."

Mauvais comiques ou mauvais public ? Peut-on vraiment rire de tout ? "Oui, mais pas avec n'importe qui !" répondait le sarcastique et regretté Pierre Desproges. Guy Bedos en a fait l'amère expérience en jouant son sketch Vacances à Marrakech : "Certains soirs, pendant et après le spectacle, j'entendais des rires qui me faisaient mal, genre : "Qu'est-ce que tu leur mets aux ratons !"" (in Je craque, Calmann-Levy, 1976).

Et puis il y a ceux qui dépassent les bornes. Patrick Timsit dut récemment faire amende honorable après son sketch sur les mongoliens ("C'est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête") : poursuivi en justice, il s'en est sorti en créant une association d'aide aux trisomiques... en collaboration avec la famille qui l'avait assigné. Il y a quelques mois, un autre "humoriste", Bruno Gaccio, dérapait au sujet des nains dans une émission de Canal + ("T'enlèves la tête et le cul d'un nain, y'a moins à manger que sur une caille"). Sommé de faire des excuses publiques par l'Association des personnes de petites tailles et l'APF, il répondit : "Pensez-vous vraiment que j'ai des excuses à formuler eu égard à l'énormité du propos ? Je revendique et assume ce mauvais goût".

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